L'immersion Indienne de Karine, projet présenté par Shifting Frames à l'Institut Français et la Ville de Marseille quelques mois auparavant se précisait donc... Workshop, exposition et conférences, un passionnant programme nous attendait entre Santiniketan et Kolkata!
12 mai 2018 - Percée dans l'atelier (et l'univers...) de Karine Rougier
En mai 2018, à l'occasion du Xième Printemps de l'Art Contemporain et de l'ouverture des Ateliers d'artistes de la Ville de Marseille, je rencontrais Karine Rougier.
Une belle rencontre par un beau samedi matin. L'univers de Karine me poussa immédiatement à vouloir en découvrir plus. De belles oeuvres (certes), mais aussi un foisonnement passionnant de sources, des références multiples à l'histoire de l'art, l'emprunt d'éléments de cultures différentes et une sensibilité au language des miniatures indiennes me fascinent déjà. Ses oeuvres m'apparaissent telles des énigmes poétiques. En dehors du temps et de notre espace. |
Karine nous plonge dans un monde qui n'est pas sans rappeler le surréalisme et la peinture métaphysique. Une première discussion s'engage avec l'artiste. Intéressée par ce passé qui s'inscrit et se mêle au contemporain, ces références à l'Inde et aux miniatures, je demande à en apprendre un peu plus... Une simple dernière petite question à l'artiste... Un atelier de miniatures traditionnelles indiennes, cela l'intéresserait-elle? Le Oui catégorique qui s'ensuivit peut être considéré comme le point de départ de ce projet. |
Un Travail de Préparation avec Meenakshi Sengupta
Ces artistes bien que d'horizons très divers et éloignés ont je pense beaucoup à partager.
Toutes deux se perdent dans les méandres du passé pour livrer un travail très contemporain.
Meenakshi éclaire les positions des femmes à la lumière de mythes religieux, historiques, sociaux et locaux. Elle s'appuie sur une variété de motifs empruntés aux traditions picturales indiennes et occidentales. |
Même si Karine ne fait pas de la critique du patriarcat le corps de son oeuvre, la figure féminine y occupe une place primordiale.
Les femmes se substituent aux hommes pour prendre une place que l'histoire leur a négligée, elles sont fortes, dominatrices et guerrières. Des super women en action. |
Je ne fus donc pas particulièrement surprise, lorsque, présentant le travail de chacune à l'autre, elles se montrèrent enthousiastes.
En ce qui concerne leurs techniques, Meenakshi et Karine s'inscrivent plutôt dans la lignée de leur héritage culturel.
Meenakshi utilise la technique ancestrale des miniatures traditionnelles indiennes et Karine se consacre principalement à l'huile sur bois et au dessin au crayon.
Meenakshi a repris un doctorat à l'Université Visva-Bharati.
Elle se penche sur la représentation du corps féminin et les relations de genre dans la création contemporaine féminine qui s'inspire des miniatures mogholes traditionnelles. Dans le cadre de ce doctorat, un workshop de miniatures traditionnelles, une exposition avec des oeuvres de miniaturistes traditionnels et d'artistes contemporains inspirés par les miniatures, et des conférences sur cette rencontre entre art et artisanat ont été organisés par Meenakshi Sengupta en collaboration avec Shifting Frames, l'Institut Français, la Ville de Marseille et l'université Visva-Bharati. |
En Route pour Santiniketan
Rappels Historiques pour un Lieu riche en Histoire
Santiniketan était peut-être de par sa volonté de faire revivre un passé écrasé par la culture coloniale et de par son ouverture sur l'extérieur l'endroit idéal pour ce début de projet...
C'est en 1863 que Santiniketan naît, quand Debendranath Tagore, le père de Rabrindranath, construit un centre spirituel (Gurukul) où chacun, quelle que soit sa religion, est invité à venir se recueillir et prier. Séduit par l'atmosphère paisible de cette campagne Bengale il l'appelle Santiniketan, the "Abode of peace". En 1901, Rabindranath Tagore y commence son "école idéale". L'idée fondatrice est une éducation sensible à la nature et s'intègrant à la vie rurale et ses besoins. Des classes en plein air sont ainsi installées; les emplois du temps respectent le rythme des saisons et le climat. En 1913, Tagore reçoit le prix nobel de littérature pour son recueil de poèmes Gitanjali. Ceci va contribuer à développer le prestige de Santiniketan et, en 1921, la petite école va se transformer en une université, Visva Bharati. A l'origine, l'université n'est qu'une école d'art, Kala Bhavan, où professeurs et étudiants ont toujours été encouragés à effacer les frontières entre art et artisanat. L'idée est de faire sortir l'art du studio de l'artiste et de le faire entrer au sein de l'espace social et dans la vie domestique. L'importance de l'artisanat dans la région interpelle encore aujourd'hui et Tagore et ses successeurs y sont pour beaucoup. Des tissus au travail du bois en passant par la poterie et le travail du cuir, l'artisanat occupe une place primordiale dans la vie des villageois. En ce début du XXième siècle, les modernistes cherchent à se défaire de la vision toute occidentale des arts et on retrouve, au coeur du projet de Santiniketan, le développement de l'art et de la littérature en se reconnectant au passé et à l'héritage populaire. Les artistes, professeurs ou étudiants se repenchent largement sur les traditions locales et populaires et par exemple Nandalal Bose (1882-1966) et Benode Behari Mukherjee (1904-1980) s'inspirent des miniatures mogholes et redonne une vie contemporaine à une méthode ancestrale. |
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L'université est un véritable musée à ciel ouvert où les modernistes ont largement laissé leur empreinte.
8 Mars 2019 - International Womens Day
Art et Artisanat - Une Exposition
Ajay Sharma est reconnu internationalement et il parcourt le monde pour enseigner l'art des miniatures.
Il n'a aucun parcours académique et se considère comme un artisan, un maître de la reproduction loin de la conceptualisation et des artistes dits "contemporains".
Si Ajay Sharma se proclame artisan plus qu'artiste, s'il affirme qu'il ne crée pas mais copie, ses oeuvres brouillent pourtant les frontières...
De même, la distance que Vinita Sharma met vis à vis de la tradition conforte l'idée d'une tradition non statique qui nécessairement se moule dans le contemporain.
Oeuvres de l'exposition
Déguisées dans les conventions stylistiques et iconographiques de la miniature, les peintures et dessins de Meenakshi dressent des questions sociales et culturelles contemporaines.
Gopa trouve son inspiration dans l'apparente insignifiance de l'espace quotidien. Ses oeuvres suggèrent un silence intemporel et un espace contemplatif, caractérisé par un calme suspendu. Elles sont le reflet d'une préoccupation métaphysique profonde. Elles tentent d'apaiser les angoisses sociales et individuelles liées à la dégénérescence inéluctable. Dégénérescence d'une personne, détérioration d'un objet ou bien même déclin d'une communauté.
Karine et Tillotoma Bhowmick n'utilisent ni l'iconographie propre aux miniatures ni leurs techniques, toutefois, une sensibilité évidente aux miniatures se dégage de leurs oeuvres.
Ohida Kandhakar, issue d'une famille musulmane de la classe moyenne, recherche les sources d'inspiration des miniatures et leur liens avec les motifs architecturaux islamiques, la calligraphie... Elle se focalise sur les femmes, les inégalités et la hiérarchie inhérente à la société indienne.
Cette exposition soulève le débat de ce qui est tradition et contemporain, ce qui est art et artisanat, ce qui est local et international.
Les frontières communément imposées sont explosées par ces artistes qui démontrent que les choix dichotomiques dans un monde globalisé et digitalisé ne peuvent plus être.
Art et Artisanat / Tradition et Contemporain - Un Dialogue
Chaque artiste présent aura eu l'occasion de présenter son travail en insistant tout particulièrement sur la place de la miniature dans son oeuvre.
Ajay et Vinita ont pu expliquer comment ils sont devenus miniaturistes, quel type d'apprentissage ils ont reçu et ce pour quoi ils se sentent plus artisans qu'artistes. |
Karine a dévoilé sa façon de travailler.
De la préparation de ses huiles sur bois, au choix de ses thèmes, de ses inspirations à sa collecte d'images relevant aussi bien de l'histoire de l'art que de l'imagerie populaire elle nous a livré son cheminement créatif et son attrait pour certaines références de la mythologie indienne. Cette série de présentations était une ébauche de réponse à certaines questions qui dépassent largement le cadre de l'art contemporain indien et qui s'inscrivent dans des problématiques soulevées par de nombreux artistes contemporains aujourd'hui. |
Comment innover en s'inspirant du passé? Comment les artistes contemporains s'inscrivent-ils dans leur héritage culturel?
Il nous a ainsi plongé dans la collaboration entre art et artisanat. Comment des créateurs avec des langages différents peuvent-ils parvenir à produire des oeuvres ensemble?
Ajay Sharma et Vinita Sharma - Workshop
Nait-on artiste ou le devient-on? Un vieux débat...
Nait-on miniaturiste ou le devient-on? Les miniaturistes sont miniaturistes de père en fils. C'est un long apprentissage technique qui va permettre au miniaturiste de réaliser des oeuvres et c'est son experience qui va développer la qualité de son travail. L'apprenti a un maître qui tel un guru dévoilera les secrets de son art avec parcimonie. Ajay a reçu l'enseignement du maître Mahendra Sharma de Jaipur et Vinita celui d'Ajay... |
1- Step by Step
- La préparation du papier Wasli
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Les apprentis reproduisent à l'aide de calque et papier carbone. Quand ils ont plus d'expérience et peuvent reproduire les miniatures anciennes de mémoire, ils dessinent alors directement. |
- Le remplissage des couleurs
Il se fait à la gouache qui est obtenue en mélangeant les pigments à de l’eau amidonnée ou à de la gomme arabique diluée à chaud. Les pigments sont d’origine naturelle.
Les pigments d’origine minérale sont le vert de malachite, le rare bleu de lapis-lazuli ou l’azurite. Toute la gamme des ocres et des bruns provient des terres, tandis que le rouge laque est extrait de la cochenille.
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- Les lignes extérieures
- Les ombres
- Les détails or et argent
- Les bijoux
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Le Step by Step de Karine Rougier en images
Patience est le maître mot. Un enchaînement des procédés qui tous demandent une grande patience. Un processus long, calme, répétitif, où la dévotion à la tâche se doit d'être entière.
Le calme, la douceur et la patience de Ajay et Vinita Sharma peuvent laisser penser que les miniatures inculquent une véritable hygiène de vie où il est nécessaire de parvenir à se détacher d'un monde (tout au moins quand on pratique) qui court en permanence, un monde où le résultat immédiat est une notion inconnue.
La notion même d'experience prend ici tout son sens. Les apprentis se doivent de s'entrainer à dessiner lignes, cercles... "Soft, Sharp & Light".
Ce qui est demandé est la justesse des traits et du processus. D'après Ajay Sharma, la qualité viendra avec l'expérience seulement.
Patience et méthodologie, un savoir faire technique, est ce pour cela que la miniature relève plus de l'artisanat que de l'art?
3- Don't Fix
Un petit exemple...
Une petite démonstration par Ajay Sharma... ou comment reprendre des éléments dont on n'est pas réellement satisfait.... Ce voyage ne s'arrête pas ici, un séjour à Kolkata pour finaliser cette escapade indienne. A suivre donc... et encore un GRAND merci à l'Institut Français, la Ville de Marseille et Visva-Bharati pour nous avoir supportés dans cette belle aventure! |